Dans la nuit du 27 au 28 octobre dernier, Boko Haram a attaqué l’Armée tchadienne dans la province du Lac, faisant une quarantaine de morts. Le 9 novembre, dans un accrochage, quinze autres soldats sont tués. Comment expliquer cette capacité élevée de nuisance de ce groupe qui semblait affaibli ? Quelles pistes de solutions pour contrecarrer le terrorisme dans le Bassin du Lac Tchad ? Éléments de réponse de Dr Sali Bakari, historien, chercheur sur des questions de sécurité, de défense et de l’extrémisme violent dans le Bassin du Lac Tchad.
Boko Haram, qu’on croyait affaibli, continue d’infliger des grosses pertes à l’Armée tchadienne. Comment expliquer cela ?
Il y a eu beaucoup d’opérations militaires contre ce groupe. On pensait que Boko Haram était affaibli. C’est juste une vision. Les capacités opérationnelles et de nuisance sont affaiblies mais pas anéanties. C’est ce qu’on peut observer à travers leur récentes attaque contre l’Armée tchadienne.
Boko Haram mène une guerre asymétrique avec une capacité d’adaptabilité à tous les contextes. Tant qu’il y a les leaders de ce groupe, les différents commandants des différentes unités, la situation va perdurer. De leurs côtés, ca réfléchit et ça s’adapte.
L’Armée tchadienne a-t-elle manqué de vigilance ?
Non. C’est une guerre asymétrique. Les forces tchadiennes ont en face un ennemi qu’ils ne connaissent pas, ne voient pas. C’est difficile pour les forces armées conventionnelles de faire face à un tel groupe qui peut se fondre dans la population, disparaitre ici et réapparaitre là. Les terroristes sont partout et nulle part.
On constate que le Tchad est particulièrement attaqué ces derniers mois par Boko Haram…
Peut-être que cela s’explique par la nouvelle stratégie de Boko Haram qui s’est davantage recentré sur la zone insulaire, coté tchadien.
Malgré la coopération notamment sécuritaire avec la Force multinationale mixte, le terrorisme perdure dans le Bassin du Lac Tchad. Où se trouve le problème ?
Je ne pense pas qu’il y ait de problème. Il faut prendre en compte le bouleversement de l’ordre géopolitique qui a comme conséquence la création de l’Alliance des Etats du Sahel, une espèce de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) de l’Afrique de l’Ouest.
Un Etat comme le Niger se retrouve dans ces deux institutions. Les Etats africains n’ont pas les moyens et cette expertise pour faire les mêmes choses au même moment ou faire les mêmes choses plusieurs fois. Cela demande des moyens humains, techniques et logistiques. Ce sont beaucoup plus des défis que des problèmes. Je ne parlerai pas d’un affaiblissement de la Force multinationale mixte.
Malgré tout, il y a cette coopération et échange d’information sur le plan sécuritaire. Je pense que c’est très tot d’envisager le retrait du Tchad de cette Force. C’est un conflit dans lequel la situation est difficile pour tous les Etats. Si dans cette configuration, on se retire de la FMM, ça sera encore plus difficile. Il faut raison garder et continuer avec la collaboration.
Quelles actions faut-il mettre en œuvre pour endiguer le terrorisme dans le Bassin du Lac Tchad ?
L’approche des Etats est militariste. Boko Haram, c’est l’organisation de la Sunna pour la prédication et le Djihad. C’est un agenda, une idée, un programme politique et social avec des penseurs et des gens qui exécutent avec aujourd’hui plusieurs branches. Il se trouve qu’il y a des gens qui croient à ces idéaux. On ne peut pas continuer à lutter contre une idée par une arme à feu.
On lutte contre une idée par une autre idée.
Après la déconstruction de cette idée, il faut que les Etats du Bassin gardent un œil sur les périphéries de leurs États. Actuellement, il y a un problème. Les Etats ne sont là qu’à travers des dispositifs coercitifs ( douane, commissariat, gendarmerie, etc.). Oui, il faut sécuriser les populations et leurs biens. Mais, elles ont surtout besoin de routes, d’écoles et de centres de santé. Il faut le retour des États dans les périphéries.