Au Tchad, une femme sur cinq déclare être victime de violences physiques, et 12 % des femmes subissent des violences sexuelles chaque année, selon une enquête nationale. Face à ce constat alarmant, un collectif de jeunes filles, les « Super banats » a vu le jour. Formées et soutenues par l’Unicef, elles s’organisent pour mener la lutte en faveur du bien-être des filles. Cependant, leur combat contre le viol est loin d’être achevé.
« Il a abusé de moi dans sa boutique en plein jour ». Cette déclaration directe et poignante est celle de Trinité (le prénom a été modifié), survivante du viol. Âgée aujourd’hui de 20 ans, elle se souvient encore de ce cauchemar qu’elle a vécu à l’âge de 12 ans, comme si c’était hier. Violée par un boutiquier du quartier, elle a vu son enfance s’arrêter précocement et est obligée de vivre avec le traumatisme. « Je me sens honteuse. Et j’ai peur quand je me trouve seule avec un homme », confie-t-elle.
Trinité n’allait jamais oser faire cette confidence, si les Super banats n’avaient pas organisé une séance d’écoute et de sensibilisation ce jour-là, à la Maison des jeunes de Dembé.
Pendant des années, Trinité a dû faire face à la solitude et à l’absence de justice. Son violeur n’a jamais été inquiété. « Je n’ai pas pu le dénoncer et il a aussi quitté le quartier juste quelques jours après son acte », raconte-t-elle d’une voix timide.
L’histoire de Trinité est tragiquement commune. Comme elle, de nombreuses filles ont vu leur virginité enlevée soit par des inconnus, soit par les proches de la famille. Pour lutter contre ce phénomène sociétal, les Super banats ne cessent de multiplier des rencontres publiques où l’on parle à cœur ouvert. Malgré tout, « le viol des filles ne fait que continuer, parce que les coupables sont rarement punis », se plaint Zara Loksala, une Super banat engagée dans le 7e arrondissement de N’Djaména.
Des textes juridiques « qui ne punissent pas »
Le viol des mineurs, un mal qui existe cruellement dans le pays, mais il est difficile d’avoir des chiffres récents. En 2020, lors de la session criminelle du ressort de la Cour d’Appel de Sarh, appuyée par le projet Chaine pénale, 15 cas de viols sur mineures sur 42 dossiers ont été traités, des chiffres glaçants.
N’ayant pas les moyens pour assister psychologiquement les victimes, grâce à leurs séances de sensibilisation, les Super Banats aident ces dernières à briser l’omerta et à faire face au mal qui les paralyse. Mais cela ne suffit pas, « il faut l’application des textes juridiques, sinon on ne parlera jamais assez de ce phénomène », insiste Zara.
Si la loi tchadienne punit de huit à quinze ans de prison le violeur, ce texte peine à être appliqué. Pourtant, la convention relative aux droits de l’enfant dit dans son article 34 que les États parties sont engagés à protéger l’enfant contre toute exploitation sexuelle et de violence sexuelle. Comme Zara, Débora plaide aussi fortement pour le respect de ce texte et l’engagement de tous pour préserver la dignité et la santé des filles.
« Il est vraiment urgent d’agir ». Nous ne réussirons pas cette lutte seule. Nous avons besoin de l’appui de nos autorités, car ce sont elles qui veillent au respect des lois. Mais nous avons aussi besoin des partenaires du Tchad pour faire matérialiser nos droits en tant que filles », lance-t-elle.
*Le prenom de la victime a été modifié conformément à l’article 4 de la Charte éthique pour la protection des mineurs dans les médias